L’ÂME DU MONDE
Chacun sait que la peinture se déploie dans l’espace et la musique dans le temps. Avec un peu d’audace – en manquons-nous ? – on pourrait dire aussi que le son est à la lumière ce que l’espace est au temps : moins riche, moins enchanteur, mais réel et puissant, porteur de grands bonheurs, associé à la vie.
On écoute le monde autant qu’on le regarde. La lumière est toujours belle. Surtout depuis que les hommes ont créé des machines, il y a des bruits si hostiles qu’il nous arrive d’aspirer au silence. Mais un monde où seul régnerait le silence serait aussi cruel qu’un monde plongé dans les ténèbres. Il y a, sur cette planète, la rumeur de la mer, le fracas du tonnerre, le grondement des cascades, le fameux bruit du vent dans les branches de sassafras, la plainte du feu en train de prendre, le cri des fauves ou des cigales, et le chant des oiseaux. Longtemps, le langage, avant d’être fixé par l’écriture, n’a relevé que du son. Un autre art majeur, peut-être le plus exaltant et le plus populaire, le plus abstrait en tout cas puisqu’il n’a besoin d’aucun support, ni toile, ni marbre, ni papier, pour déployer ses splendeurs, le plus propre en même temps à communiquer des émotions et à les partager, ne repose que sur le son. Partout dans l’univers, la rumeur est présente. Il y a un bruit du tout pressenti par les Anciens sous le nom de musique des sphères. Les astronomes le recueillent.
Le tout n’est que lumière. Le tout aussi n’est que rumeur.
C’est qu’il y a une âme du monde qui est faite de tout ce qu’il contient et qui dépasse de très loin chacune de ses composantes. Le tout brille de mille feux : c’est la lumière. Et, par les paroles, les cris, les soupirs, les chants des hommes, par le bruit de la vie et des machines, par les ondes venues de l’espace, il exprime sa joie, sa souffrance, son angoisse, ses espérances, ou simplement son existence c’est la musique des sphères et la rumeur du monde.